Ce n’est qu’en 2012 que j’ai décidé de passer à l’acte. Ça faisait pourtant longtemps que ça me turlupinait… To be or not to be ? To do or not to do ? Telles étaient les questions. Et ce n’était pas que je n’aimais pas mon boulot, au contraire… c’était juste que je n’aimais plus la vie en entreprise. Le mot « entrepreneur » signifiait toujours quelque chose de grand, d’énorme, un Everest insurmontable et indomptable. Mais quelle aurait pu être LA bonne idée qui aurait fait de moi une entrepreneuse ? Quelle idée révolutionnaire allait changer le monde et le cours de ma vie ? Depuis des années, je n’arrivais pas à me décider et à sauter le pas de devenir mon propre patron. J’attendais que cette fameuse bonne idée me tombe dessus, comme par magie.
Et puis, en 2012, je n’ai plus vu les limites et les obstacles, je n’ai plus pensé aux aléas de ne plus avoir un salaire fixe. Je me suis dit que je n’avais pas, finalement, besoin d’un si grand appartement et du confort des congés payés : il fallait que ça sorte. Il fallait que j’y aille. L’envie était devenu irrépressible alors j’ai tout quitté : pays, confort, salaire, congés payés… J’ai jeté tous mes meubles et presque toutes mes affaires, et j’ai déménagé dans un 25 m2 (alors que j’en avais plus de 80 à New York, et 125 à Boston) dans une ville nouvelle et que pourtant je connaissais si bien : je suis rentrée à Paris pour me lancer.
Je blâme l’impro pour cette impulsion soudaine. Ça fait longtemps que je fais du théâtre et notamment de l’impro. J’ai « grandi » dans l’école d’impro New-yorkaise. Entre les cours, les spectacles que j’ai produit et ceux auxquels j’étais invitée, j’en faisais au moins 5 jours par semaine, parfois plusieurs fois par jour (en dehors de mon emploi à plein temps dans une grande multinational américaine d’abord puis dans une des « big 4 » en conseil). L’impro c’était (et c’est encore) ma vie. Alors oui, l’impro m’a donné les moyens de tout jeter par la fenêtre et de refaire ma vie, et voici comment.
1- En impro New-yorkaise, on peut être tout ce qu’on veut
Si on t’apprend d’abord à dire « Oui, Et » et à ne pas poser de questions, on t’apprend ensuite que tu peux être TOUT CE QUE TU CHOISIS D’ÊTRE. Ma prof de niveau 1 nous répétait sans cesse qu’elle rêvait de nous voir « comme un couple de robots discutant de baseball ». Bon, c’est un exemple qui ne parle pas beaucoup en France, mais en gros elle voulait qu’on prenne des risques et qu’on devienne tout ce que notre imagination nous permettait de devenir. Moi, les robots et le baseball, ça ne me parlait pas mais je me souviens clairement d’une scène que j’ai initiée où je pendais d’une falaise par le col de ma veste. Mon partenaire de scène est immédiatement rentré dans mon jeu et non seulement nous nous sommes amusés comme des petits fous mais en plus nous avons réussi à créer une réalité tellement présente que nous nous en souvenons encore après toutes ces années.
Donc je peux être qui je veux, quand je veux, je suis mon propre metteur en scène et je n’ai pas besoin d’attendre qu’on me donne la permission ou qu’un facteur externe me donne une sorte de validation (genre un casting ou un entretien d’embauche).
2- On se jette dans le vide tout le temps, mais on sait qu’on peut compter sur nos partenaires de scène
Dans l’impro libre, il n’y a pas de thèmes du public, de maitre de cérémonie ou quelqu’un qui vous dirige. Tout est construit sur scène en collaboration avec les autres. « C’est comme construire un 747 en plein vol » disait Del Close, le gourou de cette discipline. Sauf qu’on a 2 choses solides sur lesquels compter : la technique qu’on a apprise et pratiquée, et… les autres. On apprend à faire confiance aux partenaires de scènes, de compter sur eux les yeux fermés. D’ailleurs l’une des phrases clés de l’impro libre, avant d’entrer sur scène est : « Je suis derrière toi et te protège » (« I got your back » … grosso modo hein, voilà les traducs d’expression ce n’est pas toujours ça quand même).
Donc, on sait qu’on prend des risques et on a identifié les personnes sur qui on peut compter si besoin.
3- On n’a pas peur de faire des erreurs
Au contraire ! Les erreurs nous donnent des perles à exploiter et avec lesquelles jouer. Je parle souvent de la colle des Post-it comme un exemple flagrant d’erreur (vous pouvez googler) qui a tourné en réussite fracassante. Chaque erreur est une opportunité. Dans une des scènes pendant mon dernier voyage à New York quelqu’un a initié dans un désert et ma langue à fourché et j’ai parlé de dessert… toute la scène est devenu une histoire de desserts sur le thème du désert qu’on consommait dans un musée… enfin bref, un bonheur à jouer (et à regarder d’après ce qu’on nous a dit).
Donc, les erreurs sont sources d’opportunités et de développement. Tout est un cadeau (il y aura un article sur la notion de cadeau bientôt parce que ça fait plusieurs fois que je vous en parle).
4- Le « Oui, Et » ce n’est pas juste de dire « Oui » suivi du « Et »
Dans l’impro libre, le « Oui, Et » va bien plus loin que ça. C’est en gros accepter la réalité du moment, présentée par le partenaire de scène par exemple, et d’explorer et de contribuer à cette réalité de façon active en intensifiant le jeu. Chaque « Et » est issu d’un choix qui met en place des éléments de la réalité. On est dans une crise économique ? OUI. Et qu’est-ce que je vais faire pour explorer et construire dans ce contexte ?
Donc, je vais créer ma boîte et continuer à la faire évoluer tout en étant conscient des forces qui régissent le marché.
5- On improvise « vrai »
On reste vrai à la réalité du moment mais aussi à nous-mêmes ET à la réalité du personnage qu’on joue sur scène. Si quelqu’un sort un flingue, comment réagiriez-vous ? Ça dépend du contexte, de qui est à l’autre bout, de la façon dont le flingue est sorti… du statut des joueurs. Mais quoi qu’il en soit, on réagit. Si on ne réagit pas, on ne joue pas la réalité de la scène. Quelqu’un nous demande du café ? C’est anodin, mais ça dépend du ton. On ne reste pas là à discuter de la pluie et du beau temps quand c’est son boss qui demande par exemple ; et ce serait encore différent si c’est un client. Les réactions sont différentes mais on réagit néanmoins.
Donc, je reste vraie dans la vie de tous les jours et je ne laisse pas glisser ce qui va bien ou mal ; je réagis et j’ajuste.
6- On fait des choix forts et on s’y tient
Chacun fait des choix et nos choix sont basés sur la réalité précédemment établie et explorée. L’indécision n’est pas de mise en impro car même si on PARAÎT indécis, ça vient d’un choix actif sur le personnage qu’on interprète. De plus, on se tient aux choix que l’on fait. C’est-à-dire on ne se renie pas nous mêmes. Si mon choix est de dire que je viens de finir de manger, je ne vais pas dire que je n’ai pas mangé depuis 3 jours dans la phrase suivante. Ces choix sont dits des choix « forts » et les techniques d’impro libre permettent de faire les choix les plus forts dans une situation donnée.
Donc, on tient le cap et on ne se renie pas (ce qui ne veut pas dire qu’on n’a pas des moments de doute… encore une fois, c’est une autre discussion).
7- On est aussi claire et concis que possible en toutes circonstances
Les improvisateurs savent bien que toute chose non dite peut être sujette à interprétation. Si vous entrez en scène et vous dites à votre partenaire « Tu es beau aujourd’hui chéri », le partenaire peut décider si c’est votre compagnon, votre enfant ou si « chéri » est une tournure de phrase que vous utilisez pour adresser vos amis (oui, oui je fais ça). Il se peut que vous ayez eu une toute autre idée en tête… alors si vous dites plutôt « Tu es beau aujourd’hui chéri pour nos 15 ans de mariage » ou « Tu es beau aujourd’hui chéri pour ton premier jour d’école. Je t’emmènerai en voiture » ce sera beaucoup plus clair. Vous établissez non seulement la relation entre deux personnages, mais aussi une circonstance pour le jeu. Si EN PLUS vous ajouter une charge émotionnelle dans vos propos, votre partenaire peut prendre le cadeau et jouer avec, plutôt que de devoir interpréter vos intentions.
Donc, on est claire et précis et concis dans nos affirmations et dans nos rapports avec autrui.
8- On joue au sommet de son intelligence
Personne n’est jamais ni fou, ni drogué au point de ne pas pouvoir jouer, ni inculte dans ce genre d’impro. C’est à dire qu’on ne prend pas les spectateurs, le partenaire de scène ni NOUS MÊME pour des imbéciles finis. On considère que tout ce que l’on sait, le public le sait aussi, les partenaires de scènes le savent, et il faut clairement déclarer nos intentions ou ce qu’on a à dire. En fait, si on n’est pas assez clair, on sait que ça laisse de la place à l’interprétation et aux malentendus.
Donc, on énonce tout e qu’on a à dire de façon aussi claire et concise que possible.
9- On travaille dur
Ah, impro, quand tu nous tiens ! Une fois accro à l’impro, il est difficile de s’en passer. Et à chaque atelier, à chaque spectacle que l’on regarde et que l’on fait, à chaque nouvelle rencontre d’improvisateurs il y a des choses à apprendre. Votre partenaire de scène initie avec un accent britannique et vous parle de la Reine et de ses corgis ? Même si vous ne savez rien sur le sujet, vous jouez au sommet de votre intelligence et ensuite vous vous en allez apprendre un peu plus sur la passion de la reine Elisabeth sur ces petites bêtes. Et vous lisez des pages entières sur le sujet, vous faites des recherches… pour pouvoir la rejouer ne mieux. Sauf que quand c’est fait, c’est fait (l’impro est l’un des arts les plus éphémères qui existent) et maintenant vous avez des connaissances que vous allez pouvoir utiliser en toute autre circonstance. En plus, vous continuez de jouer, vous allez voir de l’impro, vous prenez des cours, vous commencez même à écrire… l’impro est une discipline qui ne s’arrête jamais, la créativité est continuellement en exergue, et donc vous n’arrêtez jamais.
Donc, on bosse, on bosse et on s’éclate parce que c’est ce qu’on aime.
10- On ne se prend pas trop au sérieux
Parce que ça va toujours mieux quand on pète un coup.
BONUS
On sait lâcher prise, parce que si on se rend compte que si quelque chose ne fonctionne pas ou si on a planifié un truc dans notre tête qui vole en éclats sur scène, eh bien on se laisse porter, on reste dans le moment et on avance à partir du moment présent.
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